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Tag - stagnation séculaire

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mardi 1 mars 2016

Les arguments en faveur de l'investissement public

« (…) Venons-en aux arguments qui m’amènent à appeler à un surcroît d’investissement public aujourd’hui. Oui, "arguments", au pluriel. Il y a au moins trois raisons qui m’amènent à conclure que nous devons dépenser bien plus dans les infrastructures publiques que nous ne le faisons actuellement.

Le premier argument est que les Etats-Unis ont un sérieux déficit en termes d’infrastructures et qu’il n’a jamais été aussi peu coûteux de combler ce déficit. Les coûts d’emprunt du gouvernement sont à des niveaux historiquement faibles ; les marchés sont en effet en train d’implorer le gouvernement d’emprunter et de dépenser. Donc pourquoi ne pas le faire ? Il est complètement fou que la construction publique (exprimée en % du PIB) ait décliné à des niveaux historiquement faibles, alors même que les taux d’intérêt aient fait de même (…).

Le deuxième argument est un peu moins simple : nous sommes toujours dans une trappe à liquidité (ou proches de celle-ci), c’est-à-dire dans une situation où la réduction des taux d’intérêt aussi ample que possible ne suffit pas pour restaurer le plein emploi. L’analyse standard suggère une situation comme celle-ci :

Paul_Krugman__trappe_a_liquidite.png

Par taux d’intérêt "naturel" je me réfère au taux d’intérêt de court terme fixé par la Fed qui ramènerait l’économie au plein emploi. Dans le sillage d’une crise financière, avec un secteur privé surendetté, il est possible (et c’est ce que l’on observe effectivement) que ce taux d’intérêt devienne négatif pendant une certaine période de temps (et non, la possibilité de fixer les taux d’intérêt à des niveaux légèrement inférieurs à zéro ne change significativement pas le problème). Cela signifie que pendant période de temps étendue la politique monétaire conventionnelle ne peut restaurer le plein emploi ; et même si la politique monétaire non conventionnelle peut être essayée et doit l’être effectivement, il y a une chose que nous savons efficace : c’est l’accroissement des dépenses publiques. Donc il y a un réel argument en faveur d’une hausse des dépenses publiques lorsque nous sommes dans une trappe à liquidité. Ces dépenses seront défaites plus tard, sans heurter l’emploi, parce qu’une fois que nous sommes sorties de la trappe à liquidité, la Fed peut compenser les effets récessifs d’une consolidation budgétaire en retardant le resserrement monétaire qu’elle aurait sinon mis en œuvre. C’est pourquoi Keynes affirma que "c’est lors d’une expansion, et non durant une récession, qu’il faut adopter l’austérité".

Vous pouvez vous interroger avec raison si nous sommes toujours dans de telles conditions, dans la mesure où la Fed a déjà commencé à relever ses taux. Eh bien, elle n’aurait pas dû les relever. Elle ne devrait pas les relever tant qu’elle ne voit pas l’inflation dans le blanc des yeux. Et il suffirait d’un modeste choc pour nous basculer à nouveau le taux d’intérêt naturel dans le territoire négatif. Formulons-le ainsi : l’histoire de risques asymétriques que beaucoup d’entre nous mettons en avant pour rejeter l’idée qu’il faille relever les taux justifie également l’idée que nous considérerions l’investissement public comme une police d’assurance, donnant à l’économie une marge de manœuvre qui se révèlerait cruciale si quelque chose se passait mal. Que dire à propos de la possibilité que le taux d’intérêt naturel reste négatif pendant très longtemps, voire définitivement ? C’est l’hypothèse de la stagnation séculaire. (…) Elle renforce l’idée qu’il faille un surcroît de dépenses publiques.

Enfin, il y a aussi les effets d’hystérèse : l’idée selon laquelle la faiblesse actuelle de la demande globale affaiblisse l’offre plus tard, si bien qu’il est payant de stimuler aujourd’hui l’économie via les dépenses publiques. Il y a maintenant beaucoup de preuves empiriques suggérant que des effets d’hystérèse sont à l’œuvre. Ce qui m’inquiète par contre, c’est que les chiffres de la production potentielle ne soient pas exacts, en l’occurrence qu’ils reflètent davantage le mauvais esprit des institutions internationales plutôt qu’ils ne révèlent ce qui se passe vraiment du côté de l’offre de l’économie réelle. Je reviendrai sur ce point bientôt. Mais c’est une raison supplémentaire pour accroître l’investissement public aujourd’hui et de s’inquiéter un peu moins à propos de la dette que nous pourrions accumuler aujourd’hui à des taux très très faibles.

En conclusion, l’économie orthodoxe la plus standard permet de justifier l’idée qu’il faille davantage de dépenses dans les infrastructures publiques. Et c’est quelque chose que l’on ne dit pas assez souvent. »

Paul Krugman, « The cases for public investment », in The Conscience of a Liberal (blog), 27 février 2016. Traduit par Martin Anota



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« Krugman, Fisher et Minsky »

« C’est le moment de relancer les infrastructures »

« Multiplicateur budgétaire et politique monétaire »

mercredi 11 novembre 2015

Les perspectives d’inflation et de chômage dans les pays avancés selon Larry Summers



« Durant le dernier quart de siècle, il y a eu un consensus en faveur de modèles macroéconomiques qui séparaient les questions du potentiel de croissance et de performance conjoncturelle. Le consensus affecte (et je dirais infecte) la macroéconomie universitaire et de façon plus importante la conduite de la politique monétaire. C’est la prémisse centrale derrière le ciblage d’inflation et les banquiers centraux (sans exception) affirment qu’ils ont la capacité d’affecter ou même de déterminer l’inflation à long terme, mais qu’ils n’ont pas la capacité d’affecter le niveau moyen de production, encore moins son taux de croissance dans le temps, même s’ils peuvent avoir la capacité d’affecter l’amplitude des fluctuations conjoncturelles.

Il est compréhensible, étant donné l’expérience des années soixante-dix, que ce consensus se soit formé. (…) Le monde allait alors mal (…), il connaissait une forte inflation avec peu de bénéfices économiques et un coût considérable. Cette situation accrédita les théories de la neutralité monétaire et, avec un certain retard, l’idée selon laquelle les questions de cohérence dynamique sont cruciales lorsque l’on réfléchit à propos de l’inflation. Ce qui émergea par la suite autour du monde fut un consensus (pour ne pas dire une obsession) autour de l’idée que les banques centrales doivent être indépendantes et que la politique doit être guidée par les règles et non soumise à la discrétion des autorités.

La thèse que je compte développer ici est que le pendule est allé trop loin au regard de la neutralité monétaire, l’indépendance de la banque centrale et les dangers de la discrétion. Même si les politiques monétaires ne déterminent pas les dynamiques à long terme, elles peuvent avoir (et dans certains cas, elles ont) des effets significatifs sur les niveaux moyens de production au cours de périodes longues de plusieurs décennies. De plus, l’échec à intégrer la conduite même de la politique monétaire avec d’autres domaines de politique économiques a eu de profondes répercussions pernicieuses. Et le monde est trop imprévisible pour que de simples règles constituent des guides infaillibles pour la politique monétaire.

(…) Il est approprié en politique macroéconomique (et en particulier en ce qui concerne la politique monétaire) de se focaliser sur deux courants de la théorie économique, en l’occurrence celui associé à l’hystérèse (hystérésis) et celui associé à la stagnation séculaire. Tous deux font référence (…) à des chocs susceptibles d’avoir des effets adverses durables sur la performance économique.

Avant que je développe ces deux idées, notons à quel point la période actuelle est singulière. Ni aux Etats-Unis, ni en Europe, ni au Japon, les marchés n’anticipent pas une inflation égale à la cible de 2 % au cours de la prochaine décennie. En moyenne, dans le monde industrialisé, les marchés estiment que le taux d’intérêt réel au cours de la prochaine décennie sera nul. Il est intéressant de souligner que ce sont des prévisions par le marché, qui considèrent que des actions seront entreprises si les choses tournent mal. Donc si on leur demandait "quelles sont vos prévisions d’inflation et de taux d’intérêt réels conditionnelles à la trajectoire de la politique monétaire qui est actuellement annoncée ?", les marchés répondraient qu’ils s’attendent à ce que l’inflation et les taux d’intérêt réels soient encore plus faibles. Vous devez garder en tête ces réalités lorsque vous considérez l’éventualité des effets d’hystérèse et de la stagnation séculaire. (…)

Je comprends que (…) certains puissent penser qu’il n’est pas certain que l’existence d’effets d’hystérèse soit prouvée. Ce n’est pas ma lecture des événements et des données empiriques, mais je comprends qu’on puisse aboutir logiquement à une telle lecture. Ce que je ne comprends pas par contre, c’est que l’on puisse accepter l’idée qu’il y ait d’importants effets d’hystérèse et que l’on refuse en même temps d’admettre qu’ils aient de larges implications pour la conduite de la politique monétaire. Je ne comprends pas comment certains acceptent qu’il y ait d’importants effets d’hystérèse, mais ne parviennent pas à comprendre qu’il faille assouplir les politiques économiques le plus agressivement possible pour contenir les récessions lorsqu’elles commencent (et ce, même au risque de provoquer de l’inflation).

Il y a quelque chose de très important et de très pertinent pour les débats actuels de politique économique. En raison des effets d’hystérèse, une inflation inférieure à sa cible est bien plus coûteuse qu’une inflation supérieure à sa cible. Une inflation supérieure à sa cible génère les perturbations associées à une inflation excessive, mais elle peut inciter les entreprises à accroître leurs capacités de production. Une inflation inférieure à sa cible, par contre, provoque les perturbations associées à une inflation trop basse, plus des pertes en production permanentes ou semi-permanentes que l’on peut éviter en faisant ce qui est nécessaire pour ramener l’inflation à sa cible.

Pour conclure sur ce point, je voudrais noter qu’il y a quelques années, Brad DeLong et moi avons écrit un papier à propos de la politique budgétaire et des implications pour la politique budgétaire. Nous définissions dans cet article un paramètre que nous avons appelé η. C’est finalement la réponse à la question "si la production diminue de 1 % au cours d’une année donnée, de combien la production potentielle sera réduite par conséquent ?". Nous avons conclu que si vous avez des effets d’hystérèse de l’ordre de 0,1 (ce qui signifie qu’une baisse de 1 % de la production se traduirait par une baisse de 0,1 % de la production potentielle), ils auraient de profonds effets pour notamment savoir si la politique budgétaire s’autofinance.

Si vous prenez les estimations empiriques d’Olivier Blanchard et de moi-même ou celles de Jordi Gali sérieusement, elles suggèrent des paramètres η qui sont 10 fois plus importants. Je ne serai pas surpris du tout si de nouvelles études révisaient à la baisse nos estimations des effets d’hystérèse. Mais je serais très surpris si nos estimations étaient tellement révisées à la baisse qu’elles n’auraient plus de profondes implications.

Cela m’amène à la question, étroitement reliée, mais aussi clairement distincte, de la stagnation séculaire. La stagnation séculaire et l’hystérèse ont évidemment des chances de se renforcer l’une l’autre. Si une économie stagne pour une raison ou une autre, cela peut entraîner des effets d’hystérèse. La perspective d’une croissance plus lente entretient alors la stagnation. Dans un sens, une sorte de loi de Say inversée est en vigueur : le manque de demande crée un manque d’offre. A cet égard, il est utile de noter, comme le graphique l’illustre, que les écarts de production (output gaps) se sont réduits depuis 2009, non pas grâce à une hausse de la production, mais à cause d’une dégradation de la production potentielle.

GRAPHIQUE PIB effectif et PIB potentiel des Etats-Unis (en milliers de milliards de dollars 2013)

Larry_Summers__PIB_potentiel_Etats-Unis_hysterese_hysteresis__Martin_Anota_.png

La thèse de la stagnation séculaire est essentiellement ceci : en raison d’un excès chronique (…) d’épargne par rapport à l’investissement, la croissance aura tendance à être lente et les taux d’intérêts réels auront tendance à être faibles et, en l’occurrence, tellement faibles que les taux d’intérêt risquent d’être contraints à un niveau supérieur à celui nécessaire pour qu’il y ait un équilibre de plein emploi. Ou (…) les taux sont tellement faibles qu’ils suscitent des inquiétudes quant à la stabilité financière, parce que de faibles taux d’intérêt sont susceptibles de stimuler la prise de risque et de favoriser divers autres facteurs contribuant aux bulles financières.

Du point de vue de la théorie de la stagnation séculaire, beaucoup de ce dont les gens s’inquiètent à propos dans la politique monétaire est endogène plutôt qu’exogène (notamment les taux zéro, les conditions qui donnent lieu à des taux de long terme négatifs et les décisions pour accroître les bilans). Ce ne sont pas des actes exogènes. Ce sont des réponses nécessaires au chômage et aux pressions déflationnistes qui trouvent leur source dans l’excès de l’épargne sur l’investissement.

(…) La meilleure manière d’aider la banque centrale va dépendre des circonstances. En Europe, il semble à moi que la réforme structurelle semble être un remède à la stagnation séculaire. Outre les vertus traditionnelles de la réforme structurelle, elle est susceptible de créer (…) des opportunités d’investissement attractives qui vont élever les taux d’intérêt réel d’équilibre et permettre de revenir au plein emploi à des taux d’intérêt qui sont propices à la stabilité financière. Il est en outre justifié de recourir à l’expansion budgétaire là où il existe une marge de manœuvre, en particulier dans les pays qui génèrent de larges excédents de comptes courants.

Aux Etats-Unis, il y a aussi une marge substantielle pour la réforme structurelle mais, selon moi, les plus graves déficiences concernent le manque d’investissements publics. C’est indéfendable (sur les terrains de la microéconomie, de la macroéconomie ou du sens commun) à un moment où les coûts du capital sont historiquement faibles et où le non-emploi dans la construction est substantiel, la part de l’investissement public est à un niveau historiquement faible. Et quelqu’un qui passe par l’aéroport John F. Kennedy sait de quoi je parle. (…)

Une dernière remarque. Certains parmi vous savent que j’ai eu quelques échanges musclés, par billets de blog interposés, avec Ben Bernanke, échanges au cours desquels j’ai pu apparaître comme l’avocat de la théorie de stagnation séculaire et Ben l’avocat de la théorie de la surabondance d’épargne (savings glut). Pourtant, stagnation séculaire et surabondance d’épargne sont les deux faces de la même pièce. Elles reposent sur la même idée, celle d’un excès d’épargne.

Ben a noté avec pertinence qu’une stagnation séculaire qui n’aurait pas été traitée dans une économie est contagieuse : si une économie connaît un excès d’épargne sur l’investissement, les taux d’intérêt domestiques vont diminuer, ce qui génère des excédents de compte courant et entraîne une sortie de capitaux, qui entraîne alors une dépréciation de la devise et à l’appréciation de devises dans le reste du monde, et par conséquent à répartir la faible demande et les faibles taux d’intérêt ailleurs dans le monde. La stagnation séculaire est une maladie contagieuse. Ceux qui en souffrent ont l’obligation d’y remédier. Ceux qui sont exposés au risque de contagion sont dans leur droit lorsqu’ils encouragent ceux qui en sont malades d’en venir à bout.

Ce n’est pas un appel pour un nouvel assouplissement de la politique monétaire européenne. Une politique monétaire européenne plus accommodante peut peut-être améliorer la situation en Europe, mais elle accroîtrait, via le mécanisme que j’ai décrit, l’ampleur de la contagion. J’appelle de toute urgence à ce que d’autres actions soient entreprises en Europe afin d’accroître les taux d’intérêt réels d’équilibre et de stimuler la croissance économique. »

Lawrence H. Summers, « Current perspectives on inflation and unemployment in the euro area and advanced economies », discours prononcé à la conférence de la BCE à Sintra, au Portugal, 22 mai 2015. Traduit par Martin Anota



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« Larry Summers et la stagnation séculaire »

« Les pays avancés font-ils face à une stagnation séculaire ? »

« Bernanke, Summers et la stagnation séculaire »

« L’austérité laisse des cicatrices permanentes sur l’activité »

mardi 9 décembre 2014

La stagnation séculaire et le ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler

« La "population en âge de travailler" est souvent définie comme regroupant ceux ayant entre 15 et 64 ans. Pour plusieurs pays émergents et avancés, la croissance de la taille de la population en âge de travailler a ralenti, voire est devenue négative. En effet, au Japon, la population en âge de travailler commença à se contracter au début des années quatre-vingt-dix ; la taille la population en âge de travailler en Union européenne (sauf au Royaume-Uni) commença à se contracter en 2010 ; et la population en âge de travailler en Chine (après plusieurs décennies de politique de l’enfant unique) devrait commencer à se contracter au cours des prochaines années. Pour la plupart des pays à haut revenu, la part de la population en âge de travailler décline.

Un déclin de la taille ou de la part de la population en âge de travailler est inquiétant pour plusieurs raisons. Dans les dernières décennies, on a surtout craint qu’il serait de plus en plus difficile de financer la retraite et la santé d’une population de plus en plus âgée. Plus récemment, on a craint que le ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler puisse aussi ralentir la croissance économique. Cet argument était central dans le raisonnement d’Alvin Hansen dans son discours de 1938 lorsqu’il se demanda si l’économie américaine était entrée dans une phase de "stagnation séculaire", c’est-à-dire de ralentissement permanent de la croissance économique.

Par exemple, Hanson a dit "(…) que les éléments essentiels au progrès économique sont (a) les inventions, (b) la découverte et le développement de nouveaux territoires et de nouvelles ressources et (c) la croissance de la population. Ces éléments, séparément ou de façon combinée, ont créé des débouchés d’investissement et entraîné une croissance rapide de la formation du capital". Hansen nota ensuite que la croissance démographique a ralenti et que le territoire américain ne s’étendait plus. Il affirma alors que "nous sommes en train de basculer rapidement dans un monde dans lequel nous devons davantage nous appuyer sur le progrès technique que par le passé si nous voulons créer suffisamment d’opportunités d’investissement privé pour assurer le plein emploi… Je suis de plus en plus convaincu que l’échec de la récente reprise à ramener l’économie au plein emploi s’explique par le déclin de la croissance démographique, couplé à l’échec des innovations à créer suffisamment de débouchés pour le capital".

Pour avoir une idée du ralentissement du taux de croissance de la population en âge de travailler à l’œuvre depuis 1970 et dans les décennies suivantes, voici un graphique (…) de The Economist. Puisqu’elle se caractérise par un taux de natalité relativement élevé et des niveaux relativement élevés d’immigration, l’économie américaine devrait certes connaître un ralentissement de la croissance de sa population en âge de travailler, mais celle-ci ne devrait pas décliner.

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Voici un graphique de (…) The Economist montrant la part de la population en âge de travailler. Notons que pour l’Allemagne et le Japon, la part de la population ayant entre 15 et 64 ans a atteint son pic il y a un peu plus de deux décennies. Pour les Etats-Unis, le pic dans la population en âge de travail date d’il y a seulement deux ans. On s’attend à ce que tous les pays à haut revenu indiqués sur le graphique connaissent un brutal déclin de la part de la population en âge de travail au cours des prochaines décennies, bien qu’elle devrait rester la plus large aux Etats-Unis.

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Pourquoi une population en âge de travail mène-t-elle à un ralentissement de la croissance économique ? Une raison est juste mécanique : en l’occurrence, toutes choses égales par ailleurs, une hausse de 1 % du nombre de travailleurs va environ ajouter environ 1 % au PIB. Mais cela signifie seulement que nous devons nous focaliser sur la croissance du PIB par habitant ou par travailleur, donc nous ajuster au moindre taux de croissance.

Il y a potentiellement deux autres raisons de s’inquiéter. Premièrement, lorsque la population en âge de travail croît, les entreprises sont contraintes d’accroître leurs dépenses d’investissement, juste pour maintenir le ratio capital sur travailleur. Réciproquement, un ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler réduire les incitations à investir. Deuxièmement, si la population en âge de travail croît plus lentement ou décroît et si elle doit supporter un plus haut fardeau fiscal pour soutenir la proportion croissante de personnes âgées, alors les personnes en âge de travailler peuvent alors être moins incitées à travailler, ce qui freine la croissance économique.

Quelles sont les principales implications d’un ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler ou bien tout simplement de sa contraction ? Les niveaux d’investissement aux Etats-Unis ont en été bien plus faibles qu’on ne l’attendait ces dernières raisons, dans la mesure où la Grande Récession s’est officiellement achevée au milieu de l’année 2009. En replongeant dans le discours prononcé en 1938 par Alvin Hansen, on peut imaginer trois possibilités pour minimiser le risque de stagnation séculaire.

Premièrement, on peut essayer d’éviter le déclin de la population. Les politiques familiales adoptées par les gouvernements n’ont pas réussi à contenir la baisse des taux de natalité parmi les pays avancés. Mais il y a d’autres possibilités. Les Etats-Unis ont une frontière relativement ouverte à l’immigration légale, sans mentionner l’immigration illégale, ce qui accroit la population en âge de travailler. En outre, on peut aussi imaginer d’étendre la catégorie des « personnes en âge de travailler » de manière à inclure les travailleurs ayant entre 65 et 75 ans. Plusieurs mesures peuvent être adoptées pour inciter une plus large part de ces travailleurs à rester dans la vie active, du moins en temps partiel.

Deuxièmement, Hansen parla de "la découverte et du développement de nouveaux territoires et de nouvelles ressources". Il semble peu plausible de découvrir de nouveau territoires, mais il est toujours possible de stimuler les échanges en faisant davantage participer chaque économie au commerce mondial. En outre, l’économie américaine est capable d’étendre considérablement ses ressources énergétiques. (…)

Finalement, Hansen a mentionné le potentiel des nouvelles technologies pour créer de nouvelles opportunités d’investissement dans le capital physique, si bien que les nouvelles technologies peuvent stimuler la productivité et un essor des dépenses d’investissement peuvent aussi stimuler la demande globale. Les politiques que l’on peut ici adopter comprennent l’investissement public et privé dans les infrastructures, ainsi qu’un doublement voire un triplement des dépenses de recherche-développement.

Lorsque la population en âge de travailler croît, la croissance économique s’en trouve très souvent stimulée. Avec le ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler, il devient impérieux de s’appuyer sur d’autres moteurs pour stimuler l’économie et encourager la croissance. »

Timothy Taylor, « Lower working age population and secular stagnation », in Conversable Economist (blog), 28 novembre 2014. Traduit par Martin Anota



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« Comment le vieillissement démographique influe-t-il sur la croissance économique ? »

« Larry Summers et la stagnation séculaire »

« Les pays avancés font-ils face à une stagnation séculaire ? »

« La grande stagnation »

mardi 2 décembre 2014

La stagnation séculaire et les ordinateurs

« La stagnation séculaire ne signifie pas la même chose d’un auteur à l’autre, mais une idée partagée par tous est que les taux d’intérêt réels ont décliné depuis les années quatre-vingt. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer cette baisse (…). Si plusieurs d’entre elles paraissent plausibles (en particulier l’idée selon laquelle la réduction de la croissance démographique va réduire les taux d’intérêt réels), pris isolément, elles ne suffisent pas pour l’expliquer. Nous sommes très certainement en face d’un phénomène ayant de multiples causes. Voici un autre mécanisme que l’on pourrait ajouter à la liste, en l’occurrence la chute des prix des nouveaux biens d’investissement.

Bien que ce lien entre les prix des biens d’investissement et la stagnation séculaire ait déjà été suggéré auparavant, j’aimerais me pencher sur un nouveau document de travail réalisé par Gregory Thwaites pour le compte la London School of Economics et de la Banque d’Angleterre, où il explore cet effet dans un modèle complet. Son article présente certaines similarités avec l’article d’Eggertsson et de Mehrotra dont j’ai précédemment parlé (par exemple, il utilise un modèle à générations imbriquées à trois périodes), mais il se focalise bien plus sur l’effet des prix des biens d’investissement.

L’un des aspects les plus frappants des dernières décennies a été la croissance relativement faible du prix des biens d’investissement relativement au prix des biens de consommation. Comme Karabarbounis et Neiman (2014) l’ont noté, c’est souvent attribué aux avancées dans les technologies d’information et à l’avènement de l’âge numérique. Thwaites prolonge les données de Karabarbounis et Neiman, non seulement dans le temps, mais aussi dans l’espace. Il montre que ce déclin des prix des biens d’investissement s’observe dans plusieurs pays et qu’il débute autour de 1980.

Une question clé est combien d’entreprises réagissent au fait que le capital soit devenu moins cher en substituant du capital au travail. Dans l’article de Karabarbounis et Neiman, elles réagissent avec une élasticité de substitution supérieure à un et les deux auteurs utilisent leur analyse pour expliquer un déclin de la part du revenu rémunérant le travail. Cependant, comme Thwaites le note, il y a plusieurs études qui suggèrent une élasticité de substitution inférieure à l’unité.

Pour voir les implications de tout ça, considérons un modèle à générations imbriquées très simple avec une consommation log et où les agents ne travaillent seulement que durant la première période. Cela implique que la proportion de revenu qui est épargnée est constante. Donc si une chute du prix des biens d’investissement entraîne (toutes choses égales par ailleurs) une chute de la valeur du capital nécessaire aux entreprises, alors les taux d’intérêt réels doivent diminuer pour égaliser l’offre et la demande d’épargne. (Vous avez besoin d’un cadre à générations imbriquées ici. Dans une modèle à agent représentatif, le taux d’intérêt réel est égal à la somme du taux de préférence temporelle et du taux de croissance.) C’est un résultat obtenu à l’état régulier et l’article en explore les dynamiques.

C’est l’idée clé. Selon moi, l’un des aspects les plus intéressants de l’article est qu’il intègre l’immobilier dans cette analyse. Si les taux d’intérêt réels chutent et si, pour un quelconque raison, l’offre de logements est fixe, alors les prix immobiliers vont diminuer). Cela entraîne une hausse de la dette brute des ménages, parce que les agents empruntent aux personnes âgées pour acheter des logements. Le modèle de Thwaites montre que cela aggrave la chute des taux d’intérêt réels, parce que c’est une destination alternative au capital pour l’épargne-retraite.

J’ai reconnu ces mécanismes, parce que j’ai été confronté au même effet lorsque j’ai étudié les variations de la dette publique à l’état stationnaire. Une réduction permanente du ratio de dette publique sur PIB dans un modèle à générations imbriquées libère de l’épargne pour le capital, en réduisant les taux d’intérêt réels (comme nous l’avons par exemple exploré dans cet article). Mais de faibles taux réels stimulent aussi la demande de logements, qui peuvent être une manière alternative d’épargner pour la retraite. Plus généralement, et sans qu’importe les causes de cet apparent déclin des taux d’intérêt réels, le marché immobilier (mais aussi ce que nous pensons être comme la "norme" sur ce marché) est susceptible d’en être profondément affecté. »

Simon Wren-Lewis, « Secular stagnation and computers », in Mainly Macro (blog), 2 décembre 2014. Traduit par Martin Anota



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mardi 25 novembre 2014

La stagnation séculaire en graphiques

GRAPHIQUE 1 Variation annuelle du PIB réel (en %, moyenne mobile sur 10 ans)

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GRAPHIQUE 2 Population en âge de travailler (en % de la population totale)

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GRAPHIQUE 3 Un indicateur d'inégalités : le coefficient de Gini

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GRAPHIQUE 4 Salaires moyens réels (en indices, base 100 année 2010)

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GRAPHIQUE 5 Rendements réels des obligations publiques à 10 ans (en %)

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source : The Economist (2014)


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"Larry Summers et la stagnation séculaire"

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